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Nées dans l’urgence, alimentées par la peur et renforcées par l’absence de l’État, les brigades de résistance se sont imposées comme une réponse communautaire au chaos provoqué par les groupes armés qui terrorisent Haïti. Mais ces formations informelles franchissent aujourd’hui une ligne dangereuse : celles qui étaient censées protéger deviennent désormais source d’inquiétude.
Une enquête exclusive de NAM-Haïti révèle que des membres de ces brigades, désormais visibles dans plusieurs quartiers stratégiques de la capitale Thomassin, Canapé-Vert, Poste Marchand, Route de Frères, entre autres patrouillent lourdement armés, cagoulés, vêtus d’uniformes ressemblant à ceux de la Police nationale d’Haïti (PNH), sans en avoir le mandat.
« Ce ne sont plus de simples citoyens, mais des miliciens. Ils se présentent comme protecteurs, mais jouent aussi le rôle de juges, policiers et bourreaux », confie un habitant de Route de Frères, sous couvert d’anonymat.
De la protection au pouvoir
Initialement, ces brigades ont vu le jour pour combler un vide sécuritaire laissé par une PNH débordée, sous-équipée et parfois infiltrée. Plusieurs quartiers ont alors organisé leur propre défense, armant des jeunes pour repousser les incursions des gangs, une réponse justifiée par un sentiment d’autodéfense communautaire urgente.
Mais ce mouvement échappe aujourd’hui à tout contrôle. Selon les données recueillies par NAM-Haïti, des cas de meurtres extrajudiciaires, d’intimidation, de rançonnement, voire d’exécutions publiques sont attribués à ces groupes. Si les commanditaires restent obscurs, leurs méthodes, elles, deviennent de plus en plus militarisées.
« Ils disposent des armes, de la peur, et parfois même du soutien tacite de certains politiciens et policiers locaux », révèle une source policière.
L’usurpation des uniformes de la PNH
Ce qui choque particulièrement, c’est l’usage illégal d’uniformes officiels. Ces hommes non identifiables circulent à moto ou en pick-up, se comportant comme s’ils bénéficiaient d’une autorité d’État. Plusieurs témoins rapportent des arrestations arbitraires, des perquisitions domiciliaires, voire des exécutions sommaires, sans aucun cadre légal.
Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent ces patrouilles nocturnes, cagoulées, équipées de gilets pare-balles marqués « POLICE ». Pourtant, la PNH nie tout lien avec ces groupes.
« Nous n’avons jamais autorisé ces brigades à porter notre uniforme ni à agir en notre nom. C’est une usurpation grave », affirme un haut gradé de la Direction générale de la PNH.
Quand les bourreaux prennent le contrôle
À Poste Marchand et dans bien d’autres localités, les brigades imposent des couvre-feux, contrôlent les entrées et sorties, réclament des contributions pour assurer la sécurité, et répriment violemment toute contestation.
Les rivalités internes dégénèrent parfois en règlements de comptes sanglants, mettant en danger les habitants. Plusieurs familles ont fui non pas à cause des gangs, mais à cause des brigades elles-mêmes. À Jacquet, selon les témoignages, des brigadiers ont pris l’habitude d’inspecter les domiciles des nouveaux venus. En cas de doute, les résidents sont portés disparus et, selon les confidences d’un brigadier, très souvent exécutés.
Un pouvoir parallèle ?
Face au silence des autorités, certains experts s’inquiètent de l’émergence d’un pouvoir parallèle, des milices urbaines armées, structurées, dotées d’une hiérarchie implicite et d’une influence grandissante sur la vie locale.
« Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les gangs qui font régner la terreur. C’est la confusion. Qui protège, qui menace, qui décide de la vie ou de la mort ? » s’interroge une sociologue spécialiste des dynamiques urbaines.
Vers une miliciarisation du pays ?
Le cas haïtien rappelle d’autres contextes où des forces parallèles ont fini par supplanter l’État. Sans mesures pour encadrer, dissoudre ou réintégrer ces groupes, le pays risque de sombrer dans une miliciarisation incontrôlée, chaque quartier disposant de sa propre armée, de ses lois et de ses bourreaux.
La population, quant à elle, reste prise en étau. Tandis que les gangs continuent de prospérer, ces brigades de résistance pourraient bien devenir le visage d’une nouvelle forme de terreur.



