jeudi, juin 26, 2025
22.5 C
Haïti

Limbes qui tremblent suivi de Adlyne de sel et d’eau, poésie en état de siège marquée d’amour

Un exercice d’interprétation, voilà ce qu’est cet article sur le deuxième recueil de poèmes de l’enseignant et poète petit-goavien, Adelson Elias. Des thèmes clefs tels que la violence, l’amour et la peur sont explorés en poèmes dans ce texte paru aux éditions Floraisons en août 2020. La douceur et une sorte d’exaltation féminine à l’égard de la poétesse Adlyne Bonhomme rappellent « l’amour fou » des surréalistes un peu comme si Henry Miller faisait des poèmes pour Anaïs Nin, Baudelaire pour Jeanne d’Arc, Aragon pour Elsa, Philoctète pour Marga.

Dans les Limbes, il dresse le portrait d’un quotidien violent. D’un autre côté, il se confie à l’amour. L’émerveillement devant une femme devenue muse : « Jailli / ton corps / mon effeuillement ».

Tout est joué, tout est prêt à se dévoiler chez le poète sensible qu’est Adelson Elias. Il a ce don : manier le langage pour projeter au lecteur les secrets d’une ville (Port-au-Prince) qui, par ses dangers, l’oblige à n’avoir pas d’autre cible que la violence. Ce qui devrait être l’apanage de tout poète, s’il veut qu’on le respecte. Tout poète confronté à la résistance, à la misère, au désespoir et à l’incertitude est devenu, après tout, une voix qui se lève sans en donner visage.

Les constituants poétiques qui forment le tissu de sa parole émanent des doutes logés dans ses yeux. On s’émerveille de peur devant la violence. La peur ne résout pas le désordre. Pourtant, le nœud de son discours nous fait penser à cette réalité où la course est devenue de plus en plus inquiétante.

Marcher, c’est s’exposer au risque :

« l’homme
c’est vrai
dure peur
dans les rues de ma ville
où un rire
même perdant doucement
l’habitude
de marcher à pied »

Étrange ! Quel univers de crainte ! On est contraint, chez la poésie de cet employé du verbe, d’assister à l’hécatombe la plus silencieuse des rues et ruelles de cette capitale de « maux-de-tête », de « terre glissée », pour paraphraser B.I.C, drôlement, sans velléité linguistique.

Je refuse de me placer dans la tendance thuriféraire des critiques de la littérature haïtienne cette habitude de parler d’un recueil de poèmes en utilisant seulement des épithètes grandiloquents, sans entrer dans la substance de l’œuvre. J’évite cette mauvaise culture qui nuit à notre héritage littéraire (la poésie).
Par cette distance, après la lecture de ces 65 pages, ce texte m’a permis de comprendre qu’un poète qui écrit dans les « anfractuosités des murs », pour reprendre les mots d’Arundhati Roy, souffre, conciliant l’amour à la violence pour dire, encore et une autre fois, la brutalité du quotidien une réalité qui ne peut être franchie que par un certain soulèvement (défaisant les propos de Char).

Les limbes et le verbe trembler traduisent un symbolisme rapporté, entre le désastre de notre contexte politico-social actuel, marqué par les bilans de morts (enfer), et la peur :

Il y a
dans le crissement
du drap de silence
glissé
sur le crâne ouvert
dans la poussière,
un aller simple
pour des trous
dans d’autres corps
imparables.

Il y a,
dans l’indifférence
vis-à-vis
du corps
arbitrairement jeté sur le bitume,
un champ de cyprès
qui fait les yeux doux
à la rue.

le creusement
de sa propre tombe qui marche.

Tu ris longuement
par peur
ou par cynisme
mais
dans l’intervalle personne ne sait
qui sera la prochaine rive
du navire de la folie
de sang. »

Tu voyais un mort hier. Ça te fait penser au comble de la violence. Tu vois quand même qu’on n’est pas loin d’une vie de jungle. Un lieu violent et fragile où l’on marche sur les morts.

De ce constat du réel, l’auteur dit la violence dans un lyrisme imbriqué de peur et de désespoir ce mur auquel l’on se défend, nous les impuissants déplacés, comme me l’a dit l’écrivain martiniquais en appel, hier matin.

Par un chemin qu’on peut appeler engagement, les mots et leur pouvoir salutaire, la poésie de l’ancien enseignant tâche d’y aller, sans y avoir jamais mis les pieds que par le travail de faire vivre la langue, qu’il considère comme l’accomplissement politique du poète.

Mais, un peu paradoxalement, l’acte de dénoncer est engagé, et rien ne passe sous ses yeux quand approchent les ravages des jours :

« encore possible
à ne pas compter demain
jour mort
où est brûlé
jusqu’à la dernière paille
le nid
de l’oiseau du souffle. »

Pour dire la brutalité du quotidien, entre déraciner les rêves et couper tous les souvenirs qui rattachent les individus les uns aux autres, se tient la tendance violente des territoires perdus. Cette poésie ne dissimule donc rien de l’horreur des jours. Les bilans sont dits, et la poésie eliasienne revêt son manteau de prophétie.

Le poète écrit comme s’il était payé pour scruter ce pays à l’endroit comme à l’envers, dans toutes les lignes antipodes du quotidien où les additions sont salées. Il consigne tout, contourne, passe au scanner s’il le faut, les répits de la violence qui gangrène la ville.
La poésie, ici, se tient entre l’ordre du sensible et du témoignage réel, dans une Haïti où vivre est hors saison.

Cette poésie, étant un des moyens de s’élever contre les traumas, nous amène sur un terrain où le rejet du silence plane, où l’ailleurs et l’hier se sont entremêlés par des fils d’incertitudes, de déboires, et cette civilisation qui peut, tristement, tomber…

D’une fluidité toute tremblante, avec des métaphores saisissantes, le lyrisme d’Adelson Elias pour qui la poésie est le lieu le plus habitable témoigne de l’insondable par la magie du langage.
D’un autre bord de l’œuvre, le style happe. Il capture le lecteur par sa concision et (toujours) sa simplicité à grand coût.

Notice : Adelson n’a jamais reçu de prix littéraire. Pourtant, il est bel et bien l’un des poètes contemporains haïtiens les plus raffinés. Son œuvre témoigne de la violence quotidienne. Elle en fait corps, jusqu’à en devenir indissociable.
Ceci n’est pas et ne sera jamais une sorte de corporatisme du métier de poète.

À la une cette semaine

Tragédie à Pont-Gaudin : un violent incendie causé par...

Un grave incendie s’est déclaré ce mercredi matin à...

Port-au-Prince dans le noir : quand l’électricité devient un...

Port-au-Prince s’est encore plongée dans l’obscurité, mais cette fois,...

Le département des Nippes champion au Sud-Est

Le département des Nippes refait encore surface au Sud-Est,...

L’administrateur de l’hôpital Eben-Ezer arrêté pour blanchiment d’argent au...

Medson Jean-Louis, administrateur de l’hôpital Eben-Ezer, a été arrêté...

Haïti étouffe sous le poids du clientélisme footballistique

Le football haïtien traverse l’une des périodes les plus...

Top des lectures

Related Articles

Popular Categories

spot_img