Il faut les États généraux de la presse pour revisiter les pratiques du métier, déclare Roberson Alphonse

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Si la presse dans le monde entier a toujours été l’objet de grandes critiques, en Haïti, la pratique du journalisme a atteint un niveau de déferlement au point que certains y voient une presse défigurée, dénaturée et à refaire. Interrogée sur cette question, le journaliste de carrière, Roberson Alphonse reconnaissant que ça va mal, plaide pour les États généraux de la presse en Haïti.

 » Au début, c’était extraordinaire pour un jeune journaliste comme moi d’entrer au Palais National pour couvrir une conférence de presse aux côtés des journalistes que j’ai aimé écouter quand j’étais enfant « , témoigne le directeur de l’information de Magik 9. Des propos qui témoignent de la nostalgie pour une génération de journalistes comme Clarens Renois, Rotchild François Junior, Jean Max Blanc et Tony Bélizaire qui, pour lui, étaient de vrais modèles. Roberson Alphonse, ce journaliste connu pour sa rigueur dans la pratique du métier de journaliste raconte qu’à ses débuts dans le secteur, il n’y avait pas de place pour les dérives constatées dans la presse d’aujourd’hui.  » À mon entrée, il y avait tellement de journalistes professionnels de bonne facture. Il y avait aussi une belle génération montante à côté de ces grands noms « , souligne-t-il, citant Méroné Jean Wilkens, Marie Raphaëlle Pierre, Goudou Jean Numa avec une plume extraordinaire, qui faisait dit-il, des reportages à Métropole.

Si la presse haïtienne a connu cette heure de gloire avec des journalistes professionnels maîtrisant les deux langues, des travailleurs qui offraient des reportages en profondeur avec toute la rigueur que cela exige, Roberson constate que ce temps semble être révolu.  » Mais avec le temps, pour diverses raisons, le métier n’est plus aussi attractif. On assiste à la prolifération des médias. Les exigences financières ne sont pas satisfaites pour attirer la qualité en terme de compétence professionnelle et intellectuelle « , regrette-t-il. À en croire le journaliste, si la presse en Haïti est sujette à toutes sortes de dérives, c’est parce qu’ils sont nombreux ceux qui occupent des fonctions d’expression, mais ne sont pas des journalistes.  » Il y a malheureusement des gens à l’antenne et sur les réseaux qui exercent une fonction qui s’apparente à la fonction de journaliste, mais qui ne sont pas nécessairement des journalistes « , se plaint-il, soulignant qu’il ne s’agit pas de personnes qui sont allées à l’école, qui ont une formation et qui sont surtout, insiste-t- il, liés aux principes d’éthique et de déontologie du métier.

 » Être journaliste, c’est beaucoup plus que cela. C’est la formation professionnelle. Si vous n’êtes pas allés dans une école de journalisme, vous apprenez les rudiments du métier dans un média reconnu. Et le plus important encore, vous êtes liés aux principes de la déontologie du métier « , précise Roberson. Selon lui, le journalisme exige un comportement : rester le plus proche possible de la vérité, ne pas avoir de préjugés, reconnaître qu’une histoire peut avoir plusieurs phases, rechercher toujours la contradiction, vérifier les informations. Par-là, Roberson appelle, dans le milieu, à établir une différence entre les journalistes de métier et ceux/celles occupant une fonction de journaliste sans être assujettis aux exigences professionnelles et déontologiques du métier.  » Lorsqu’il y a des gens qui occupent des fonctions d’expression que nous présentons comme des journalistes, leurs dérives sont préjudiciables « , analyse le boursier de Knight-Wallace croyant qu’il faut améliorer ce que nous avons. Plus de formation, de responsabilité, d’exigences éthiques et professionnelles. Plus de professionnalisme.

Des pratiques qui menacent la liberté de la presse ?

Si Roberson Alphonse décrit une presse en proie au sensationnalisme avec une génération de travailleurs faisant fi des exigences professionnelles et éthiques du métier, il reconnaît, au fond de l’abîme, le travail de certains journalistes qui sortent du lot. Mais, croit-il, il n’en demeure pas moins qu’ils font face à des critiques, quelque soit leur niveau de professionnalisme.  » Ce n’est pas un phénomène propre à Haïti que des gens décident d’attaquer des journalistes pour la simple et bonne raison que la politique pour certains, c’est la désinformation, l’intoxication, la mésinformation », avance-t-il. Pour lui, ceux et celles qui attaquent les journalistes crédibles participent à dénaturer les pratiques du métier. C’est, à ses yeux, une façon pour ces gens-là de casser l’architecture traditionnelle qui existe et qui a un certain crédit. Ce, afin qu’il puisse opérer dans un monde de propagande, de mensonge, d’une parole intéressée parce qu’ils ont des intérêts politiques à défendre.  » Ils le font pour décrédibiliser le secteur et permettre l’émergence de quelque chose totalement pirate, totalement politique qui n’est pas en accord avec l’intérêt du public « , analyse-t-il.

De là, il voit des grandes menaces pour la liberté de la presse en Haïti.  » La violence des gangs est la première grande menace de la liberté de la presse a l’heure actuelle. Les gangs sont instrumentalisés par des acteurs de la sphère politique et celle de l’économie pour défendre leur intérêt « , explique Roberson Alphonse, soulignant que ceci nous amène dans une spirale de violence, œuvre des politiciens corrompus qui veulent accéder au pouvoir ou garder leur pouvoir comme les dilapidateurs des fonds Petrocaribe. La deuxième menace ce sont les attaques contre les journalistes crédibles et honnêtes, ajoute-t-il. Le journaliste croît qu’il faut qu’il faut prendre ces attaques au sérieux, regarder leur origine et leur finalité. Du même souffle, il avance que la troisième menace à la liberté de la presse, c’est l’exercice de la liberté de la presse elle-même.  » L’exercice d’une liberté débridée en dehors de la loi conduit à ce qu’on appelle liberticide. Quand la liberté devient liberticide, celle-ci devient un danger « , prévient la voix de Panel Magik 9. Pour lui, sans la responsabilité, si l’on fait ce que l’on veut, dire ce que bon nous semble sur les autres sans vérifier les informations, si l’on fait des diffamations, ce n’est pas l’intérêt public qui motive, vous perdez quelque chose, la crédibilité.

Roberson Alphonse fait partie de ceux et celles qui croient qu’informer est un droit. L’information participe à l’intérêt public. Et pour atténuer tout le mal qu’une presse jetée dans l’anarchie peut causer à la société et au journalisme lui-même, il propose la création des États généraux de la presse. Il croit que ce doit être la responsabilité des universités, des écoles de journalisme, des associations de journalistes et des associations de patrons de médias. Ces états généraux, pour Roberson Alphonse, auront pour tâche principale de revisiter la pratique du métier, les curriculums de formations, les conditions salariales…  » Ce travail, il faut le faire au moment où il y a un pullulement de moyens d’information qui occupent des fonctions de journalistes. Ce pullulement, cette atomisation des moyens d’informations peut engendrer une cacophonie au point où à un moment, l’on ne pourra même pas nous entendre nous-même en tant que professionnels, la communauté ne pourra pas nous entendre. Et nous sommes déjà à ce carrefour « , termine-t-il.

Jean Robert Bazile
Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.

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