Port-au-Prince s’est encore plongée dans l’obscurité, mais cette fois, le black-out dépasse la simple panne technique. Il s’agit d’un acte volontaire, désespéré, éminemment politique. À Mirebalais, des citoyens, las d’alerter en vain les autorités sur l’insécurité croissante, ont pris une décision aussi radicale que symbolique : couper l’alimentation électrique de la centrale de Péligre. Il en résulte un effet immédiat et massif : la capitale entière, déjà éprouvée par l’instabilité chronique, est privée d’énergie.
Ce geste n’est pas le fruit du hasard ni d’une volonté de nuire à la population. Il incarne une détresse profonde, celle de communautés abandonnées par un État. Depuis des mois, Mirebalais vit sous l’emprise des gangs. Les attaques se multiplient, les institutions locales vacillent, et la peur devient le quotidien. Dans cette ville du Plateau Central, comme dans tant d’autres en Haïti, les citoyens ont l’impression criante d’être laissés à eux-mêmes. Quand on incendie un engin de la Police nationale censé rétablir l’ordre, cela devient plus qu’un incident : c’est le symbole d’un pouvoir qui ne protège plus.
La coupure de Péligre, moteur énergétique de Port-au-Prince, frappe fort, et c’est bien l’objectif. Les manifestants veulent être entendus. Ils veulent forcer un gouvernement silencieux à regarder au-delà des murs de la capitale, à prêter attention à ces zones « périphériques » qui, aujourd’hui, vivent sous occupation criminelle. La lumière coupée est ici un message limpide : tant que l’État ne protège pas, tant qu’il n’écoute pas, tant qu’il ne répond pas, il n’y aura pas de normalité.
Ce black-out expose crûment la fragilité d’un pays au bord du gouffre, où chaque secteur santé, éducation, justice, sécurité fonctionne à la marge, souvent grâce à la résilience des citoyens eux-mêmes. Dans une capitale dépendante de générateurs pour faire tourner ses hôpitaux et ses stations d’eau, la moindre perturbation devient une menace vitale.
Il est urgent que les autorités haïtiennes réagissent autrement qu’en paroles. La situation à Mirebalais n’est pas un cas isolé, mais l’expression d’un malaise généralisé. Le pays ne peut pas continuer à avancer à l’aveugle, gouverné par l’inaction, pendant que la société civile tente désespérément de rallumer l’étincelle de la responsabilité.
En coupant l’électricité, Mirebalais rallume en fait une alerte que le pays ne peut plus se permettre d’ignorer. Car si la lumière s’éteint à Port-au-Prince, c’est bien l’ombre de l’effondrement total qui s’approche.