Il est des douleurs qu’aucun mot ne saurait pleinement traduire. Et pourtant, il faut parler, écrire, dénoncer. Se taire, c’est participer au crime. Aujourd’hui, la jeunesse haïtienne étouffe, enfermée dans un quotidien qui n’offre ni rêve, ni avenir, ni paix intérieure. C’est une génération sacrifiée, piégée dans une spirale de stress chronique, de frustrations accumulées et d’espoirs érodés.
Ce stress n’est pas une simple tension passagère : il est devenu une maladie sociale, une pathologie collective qui consume lentement l’énergie vitale d’une population jeune, parfois instruite, souvent talentueuse, mais condamnée à l’immobilisme. Selon une étude menée en 2023 par une organisation locale de santé mentale, plus de 68 % des jeunes interrogés déclaraient souffrir d’anxiété sévère ou de dépression liée à leur situation socio-économique. Ce chiffre n’est pas qu’un simple pourcentage : il reflète une détresse humaine profonde.
Prenons le cas d’un jeune homme de 34 ans, diplômé en sciences de gestion. Il vit encore chez ses parents, incapable de payer un loyer ou même de construire une relation amoureuse stable. Il ne rêve plus de fonder une famille. Non pas qu’il manque d’ambition, mais le pays ne lui offre aucun levier pour la réaliser. Le marché de l’emploi est inexistant ; les rares entreprises qui subsistent peinent à survivre et rémunèrent à peine leurs employés. Un salaire moyen de 17 000 gourdes moins de 120 dollars américains ne suffit même pas à couvrir une semaine de dépenses de base : transport, nourriture, logement, communication… tout est hors de portée.
Dans les rues, les jeunes errent, non par choix, mais parce que l’avenir les a abandonnés. Les écoles sont fermées ou déplacées, les universités réduites au silence par les balles des gangs ou l’exode massif de leurs professeurs. Même les loisirs, censés offrir un peu d’évasion, ont disparu. Pas de cinéma, pas de concerts, pas de parcs sécurisés. Le divertissement se résume à faire défiler l’écran d’un téléphone quand on peut encore se permettre une recharge.
Ce pays, dirigé par des « gangs à cravate », comme les appellent certains, a été confisqué par une élite politique corrompue, complice ou impuissante face à l’insécurité généralisée. Pendant que les jeunes rêvent d’une vie digne, les dirigeants rêvent de contrats fictifs, de budgets détournés, de comptes bancaires bien garnis. L’État, au lieu d’être un rempart, est devenu un bourreau silencieux.
Et pourtant, Haïti ne manque pas de ressources humaines. Sa jeunesse est vivante, créative, connectée au monde mais cloîtrée dans une prison sans barreaux : celle d’un pays sans vision.
À ceux qui gouvernent, nous posons cette question : que faites-vous pour empêcher que cette jeunesse ne devienne une génération perdue ? Une nation qui tue ses jeunes, qui étouffe leurs rêves, qui les condamne à l’exil ou à la résignation, est une nation qui se condamne elle-même à la ruine.
L’avenir d’Haïti repose sur sa jeunesse. Encore faut-il que cette jeunesse ait un avenir.