Le devoir premier d’un journaliste est la cueillette d´informations qui peut être politique, sociale, culturelle, entre autres pour diffuser à un public, un groupe de personne en quête de ces dernières. Vu l’évolution du numérique à travers le monde, notamment en Haïti, on peut remarquer qu’il est plus facile d’accéder aux informations, il suffit de monter sur les réseaux sociaux. Cependant, la facilité d’accès à l’information pousse certaines personnes à faire mal l’usage du métier.
Comment les journalistes peuvent-ils travailler afin de donner plus de valeurs à ce métier si noble à l’ère du numérique ?
Jadis, être journaliste signifiait beaucoup aux yeux de la société. Dire que vous êtes journaliste, voulait dire que vous avez une très grande capacité de réflexion, une solide et large culture générale et aussi signifiait une personne honnête qui avait une certaine crédibilité aux yeux de la société. Face à l’apparition du numérique, de nos jours, on peut constater une dégradation du métier de journaliste. Il devient plus facile de dire que vous l’êtes, il suffit d’être muni d’un smarthphone et un badge. Ces journalistes la majeur d’entre eux n’ont pas fréquenté une école de communication, de journalisme ou même encore une faculté en rapport avec la communication. Ces derniers ne font que publier des informations non-vérifiées et brutes en vue d’attirer une large audience.
Nous avons rencontré Marcus Joseph, rédacteur en chef du média en Ligne Passion Infos Plus. Il a donné son avis autour de la façon dont font l’usage les journalistes des réseaux sociaux pour diffuser les informations: « Informer, former, distraire… sont, entre autres, les missions d’un média au sein d’une société. Cependant, avec la démocratisation des médias sociaux, l’accès à l’information est devenu beaucoup plus facile. Certains de ces médias fonctionnent en dehors de l’éthique et de la déontologie du métier de journaliste en diffusant de fausses informations et en manipulant des images pour influencer l’opinion publique, détournant ainsi la réalité. »
De son côté, Godson Lubrun, responsable d´un média en ligne, détenteur d’une licence en communication sociale et président de l’Association Haïtienne des Médias en lignes (AHML), partage son idée autour de cette problématique: « Les moyens de diffusion s’accroissent à travers l’internet. Diverses plateformes offrent diverses possibilités afin de disposer certaines informations au profit de son public. Les règles de l’art doivent être respectées autant que les formes à transmettre. L’écriture, la mise en forme et l’angle de traitement sont autant d’éléments méritant une amélioration dans la manière des journalistes d’user la toile pour diffuser de l’information. »
« Le métier de journalisme est aujourd’hui vandalisé par la vague montante des réseaux sociaux se recoupant en une source prodigieuse d’informateurs se faisant passer pour des lanceurs d’alerte », avance Widner Moïse, sociologue et étudiant en sciences Politiques à l’Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Études Internationales (INAGHEI).
En raison du manque de professionnalisme et d´éthique chez certains journalistes en ligne, beaucoup de personnes sont victimes. Elles le font non seulement par la diffusion des fausses informations, mais également par la publication des images choquantes, à l´instar des corps des personnes assassinées par balles, des corps mutilés dans des accidents de voitures ou autres pouvant frémir ceux qui les regardent. Ces photos étalées sur les réseaux à l’insu des familles de ces personnes troublent l’esprit des proches et même des inconnus tombant spontanément sur ces dernières.
Carine, petite sœur d’une personne qui a été assassinée par des hommes armées, a vu pour la première fois le corps inerte de son frère à travers les réseaux. Elle nous raconte comment elle s’est ressentie : « Mon frère nous a laissé dans la matinée pour aller à l’université, il était en 4e année à la faculté de médecine et de pharmacie. Plusieurs jours sans aucune nouvelle de lui, s’est apparu sur les réseaux sociaux après que nous avons visité plusieurs hôpitaux et morgues. Pendant que j’étais sur les réseaux entrain de filer des pages et photos sur Facebook, je tombais sur le cadavre de mon grand frère, gisant sur un tas d´immondices au centre-ville, j´étais sous le choc spontanément, je reste muette. »
À l’instar de Carine, de nombreuses familles subissent de la même manière cette situation : c’est à travers les réseaux qu’elles prenaient la nouvelle de la mort de leurs proches. Quelques fois, ces personnes se trouvent dans un état critique en visualisant le corps sans vie qui gît sur de tas détritus, le pire, c’est à travers les réseaux sociaux. Dans la majorité des cas, ces images ont été publiées par des individus qui se font passer pour des journalistes. Ces derniers ont créé de différentes pages sur lesquelles ils publient ces images et des informations non vérifiées et non-traitées dans le but de gagner de l’argent.
Et aussi, il devient plus facile aujourd’hui pour une personne de promulguer une mauvaise information sur une autre dans le but de lui faire du mal. À ce titre, elle peut publier que cette personne est recherchée par la police, ou c’est une personne détenant des armes illégales entre autres. Delà, la nouvelle circule sur les réseaux à une vitesse fulgurante que tout le monde en parle.
Que dit la loi face à la diffamation ?
Selon Godson Lubrun qui est aussi un avocat stagiaire au barreau de Port-au-Prince, la diffamation est le fait de dire ou de révéler quelque chose sur une personne, dans le but de souiller sa réputation ou de porter atteinte grave à son honneur. Selon lui, elle est un fait prévu et puni par le Code pénal haïtien en ses articles 313, 314, 315, 316, 317 jusqu’à 322. Donc, une personne subissant de la diffamation « c’est-à-dire révéler des faux témoignages à son encontre » par un journaliste qui ne respecte par la déontologie et l’éthique du métier dans le but d’attirer l’attention des internautes, peut porter plainte contre celui-ci.
Face à cette dérive, dire que vous êtes journaliste de nos jours n’a aucune fierté. Au contraire, vous faites jeter un mauvais regard sur vous. Ce métier si noble qu´il était dans le temps, transforme en métier le plus dégradant, le plus médiocre existant aux yeux de la société. Tout cela est dû en raison de la mauvaise pratique des soi-disant journalistes dont la seule chose qu’ils détiennent est un smartphone.
Les réseaux sociaux et leur bon côté pour le métier de journaliste
« D’abord, le premier aspect qu’il nous faut en tenir compte, c’est la diffusion instantanée de l’information grâce au numérique. Au fait, via l’Internet et les réseaux sociaux, les journalistes ont l’obligation d’être plus aptes, plus rapides pour couvrir des événements en temps réel. Grâce au numérique, les journalistes ont accès à une multitude de source en ligne pour mieux faire son travail. Donc, c’est la diversité des sources d’information. Grâce au numérique, très souvent, les médias sociaux ont aidé le public à participer à la collecte des données », pense le journaliste Marcus Joseph
Godson Lubrun, lui, pense que l’avancement du numérique constitue un bon pas pour le journalisme haïtien. En premier lieu, il permet le public d’être exposé à une offre d’information diversifiée, il renforce également le pluralisme. Et cela représente ainsi un enjeu en fonction de la qualité des informations.
De son côté, Wilner Jean, licencié en communication sociale et journaliste, pense que le numérique peut jouer un rôle important dans le métier de journaliste dans la mesure où il permet les informations circulent plus rapide que possible et touchent facilement plus de pays. Aussi, il aide les personnes vivant à l´extérieur du pays de s’informer mieux de ce qui se passe dans leur pays d’origine.
Que doit faire le journaliste pour rester professionnel à l’apport de l’émergence du numérique pour se démarquer du lot de la médiocrité ?
« Les journalistes doivent établir la différence entre l’information étant l’élément de la raison d’être du journalisme et l’astuce informative qui n’a aucun intérêt de fiabilité », conseille Moïse Widner aux journalistes. Selon le sociologue, la sensation devient un enjeu majeur pour la déontologie du métier de journaliste. En ce sens, les professionnelles évoluant dans ce domaine doivent alors se démarquer de la facilité. Ils ont pour devoir d’utiliser l’émergence du numérique comme l’acquisition la plus nette pour stimuler leurs travaux mais pas se laisser emporter par la ruse de celle-ci.
Selon le journaliste Marcus Joseph, les réseaux sociaux ont grandement facilité la propagation des fausses informations. De ce fait, les journalistes ont pour devoir de vérifier d’abord les informations avant de les traiter. En ce sens, les journalistes devraient faire preuve de professionnalisme afin de donner au métier sa juste valeur et son importance capitale. En conséquence, nous aurions une presse plus crédible, marquée par la légitimité, une presse qui contribue positivement à la société.
« Tout cela renvoie à une nécessité de renforcer la formation des journalistes. L’éthique aussi doit être au premier plan. Sous ce dernier aspect, plein de gens niant que des comportements tendant à nuire des citoyens sont permis par ce que le médium utilisé est l’internet. En Haïti, il n y a pas encore un cadre légal et réglementaire apte à freiner ces pratiques », relate Godson Lubrun.
Dans son livre, Le principe du journalisme, Bill Kovach Tom Rosenstiel souligne : « Le premier d’entre eux est que la raison d’être du journalisme est d´apporter aux citoyens l´information dont ils ont besoin pour vivre en être libre autonome ». Bill Kovach avance pour nous dire que « l’idée selon laquelle les journalistes devraient pouvoir travailler à l’abri d’un mur protecteur séparant le « business » de l’information est un mythe. Toutefois, il pense que la qualité d’objectivité dans le métier du journaliste est aussi un mythe. Cependant, le journaliste peut être subjectif tout en observant l’éthique professionnelle du métier. Comme l’a dit Bill Kovach dans son livre, notamment dans l´élaboration des neuf principes du journalisme, la première obligation du journaliste est le respect de la vérité. Il se doit par essence de vérifier ses informations, fournir une information complète et équilibrée au public.
Par ailleurs, à travers le livre «Journalisme numérique, théorie et critère d´analyse », élaboré par 7 auteurs espagnols prodiguant quelques conseils autour de la façon dont les journalistes numériques doivent rédiger leur contenu d´article: » il faut écrire des textes brefs qui ne renoncent pas à la qualité, et produire des récits multimédias de structure simple qui puissent être complets en peu de temps, des narrations succinctes mais complètes et attrayantes ».
Ils pensent que « les genres, sur le Réseau, sont dynamiques et il est essentiel de savoir diviser avec des critères journalistiques tout l’ensemble des nouvelles et documents en éléments plus petits et manipulables avec lesquels il est possible de faciliter la navigation ».
Au fait, le journaliste comme la personne dotant la mission de s’informer a le devoir de prendre sa responsabilité pour s’imposer au paradigme de la communication populaire, qu’elle soit à travers les médias traditionnels ou les réseaux sociaux. Il est nécessaire que les professionnels en journalisme fassent en sorte la différence entre la propagande et l’information étant un outil qui construit à partir des normes (sources, traitement…) le rendant fiable. Le journaliste doit alors mettre son apport comme le garant du système communicationnel afin d’éviter les bavures qui peuvent compromettre le domaine journalistique qui se trouve sur la pente descendante au niveau des médias traditionnels et les réseaux sociaux.
Kerline JEAN PAUL